dimanche 29 décembre 2013

Le G8 dans les pas du Kaiser



Vous avez peut-être lu la chronique du Financial Times traduite par GillesBerton pour le Monde. Moi, elle m’a fait bondir. Mais mon article-réponse que je vous propose ci-dessous a évidemment été refusé. L’auteur (britannique donc ?) se risque à une analogie très hasardeuse entre la puissance économique montante de la Chine et l’Allemagne impériale du début du siècle dernier. Commémoration oblige, il finit par suggérer que l’inflexibilité de la Chine dans l’affaire mineure des îles Diaoyu/Senkaku risque de jouer le rôle de l’attentat de Sarajevo : la péripétie théoriquement sans importance qui précipite le monde dans la guerre mondiale !

Cette mauvaise analogie m’en inspire une autre plus judicieuse. La solidarité occidentale dans la question des îles Diaoyu/Senkaku rappelle celle qui existait voici cent ans entre les puissances européennes, les Etats-Unis, la Russie et le Japon. En dépit de leurs disputes perpétuelles et de leurs conflits armés sporadiques, ces pays s’entendaient pour asservir et dépecer la Chine. Faisant fi du droit international, ce G8 avant l’heure faisait signer aux empereurs Qing des traités iniques qui bafouaient la souveraineté nationale : concessions extraterritoriales, patrouilles navales sur le Yang Tsé, trafic d’opium, réquisitions de main-d’œuvre, on parlait moins des droits de l’homme en Chine à une époque où ce sont les Européens qui les violaient. Les révoltes qui éclataient dans la population exploitée par les occupants étrangers étaient réprimées dans le sang.

L’article attribue je crois un peu légèrement la faute de la guerre de 14 au Kaiser, qui n'est pas plus coupable que les autres dirigeants européens du démarrage des hostilités. En revanche, dans son discours du 2 juillet 1900 aux troupes qu’il envoyait en expédition punitive en Chine : « Je vous envoie donc aujourd’hui pour venger une injustice, et je n’aurai pas de repos tant que le drapeau allemand ne flottera, aux côtés de ceux des autres puissances, victorieusement au-dessus des Chinois, planté dans les murs de Pékin, et dictant la paix aux Chinois. Préservez des relations de camaraderie avec toutes les armées que vous rencontrerez là-bas. Russes, Anglais, Français et autres, tous luttent pour une cause commune, celle de la civilisation. » Devant un autre détachement, il va jusqu’à déclarer « Pas de pardon. Pas de prisonniers. Maniez vos armes de façon à ce que dans les mille ans à venir pas un Chinois n’ose seulement lever la main sur un Allemand ».

On aurait tort de croire que ces exactions étaient rares ou seulement allemandes. La même année, les Anglais et les Français dévastaient et saccageaient pour la seconde fois le Palais d’Eté. Victor Hugo s’en est ému dans une lettre fameuse qui est aujourd’hui traduite et exposée, avec un buste du poète, au milieu des ruines augustes de ce qui fut « une des merveilles du monde ».

Dans le Monde, le Financial Times et bien d’autres organes de la presse libre, les éditos unanimes disent « La Chine doit céder. Il est dans son intérêt de céder. Elle va céder, comme elle l’a toujours fait. » Et de détailler les mesures de rétorsion, économiques, voire militaires, que l’Occident est prêt à prendre pour rendre les îles à son allié japonais. Pas un mot sur le droit international, sur les arguments, très convaincants mais très complexes, des deux parties. Pas un mot non plus pour éclairer la position chinoise, par définition considérée comme excessive et illégitime. Pas une ligne, enfin, pour ménager la sensibilité historique bien compréhensible de la Chine.

OU EST L’URGENCE ?

Le problème, ce n’est pas le sort de ces îlots, inoccupés et insignifiants. Tout le monde s’est volontiers passé d’eux jusqu’à aujourd’hui. Le problème n’est pas l’attitude chinoise, qui ne fait que prendre les mesures que prend tout pays envers les territoires qu’il estime relever de sa souveraineté. Le problème est dans l’attitude occidentale qui se conforme à la loi non écrite qui stipule « quel que soit le problème, c’est la Chine qui est en tort ».

La presse libre, toujours là pour se gausser de la presse « de propagande » de la Chine, prête le flanc à la même critique. Depuis le début de l’affaire Diaoyu/Senkaku, jamais une médiation de l’ONU, une négociation, un arbitrage, un partage, une souveraineté multinationale, ne sont envisagés, comme cela se fait dans mille autres conflits territoriaux de par le monde. Il est acquis dès l’abord que la Chine a tort, et la question n’est que celle des moyens de lui faire rendre gorge. Vraiment, on se croirait revenu au début du vingtième siècle, à l’époque où l’occident se permettait tout en Afrique, en Chine, en Asie, et se livrait sans complexe à la guerre sauvage et sans scrupule que la civilisation, dans une curieuse inversion des rôles, croyait devoir livrer à la barbarie.

L’argument de la supériorité civilisationnelle a vécu. Au vu de leur histoire ancienne et récente, ni l’Europe, ni le Japon, ni les USA, ne sont en position de donner des leçons de morale à la Chine. Et, fait nouveau mais important, la Chine n’est plus contrainte de les accepter. Elle a désormais les moyens de faire respecter sa souveraineté. Fini le droit de la canonnière, place au droit international. 

Au sujet des Diaoyu/Senkaku, Deng Xiaoping disait « Cela n’importe pas si cette question est remise à plus tard. Notre génération n’est pas assez sage pour trouver un terrain d’entente sur cette question. La génération suivante sera sûrement plus sage. Elle trouvera sans doute une solution acceptable pour tous. » Sages paroles ! Apparemment il est encore trop tôt. Où est l’urgence ? Laissez les juristes plancher et négocier pendant cent ans encore.

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