Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Départ pour Hailar (海拉尔), la "perle des pâturages" en Mongolie intérieure !
Ça y est,
le temps d’une trop courte nuit, une petite reconfig des bagages, et c'est reparti!
La partie
méridionale du voyage est bouclée, préparation pour le terrible hiver mandchou.
C’est la revue de paquetage : les shorts & t-shirts font place aux
gros pullovers et aux gants fourrés. On embarque au petit matin à la gare du
Nord pour un trajet de 1800 km vers Hailar, sur la rivière du même nom,
affluent de l’Amour, qui prend sa source en Mongolie à 1600 km de là, et fait
la frontière avec la Russie. 30 heures de train, tout le temps de somnoler, de
lire, de causer avec nos voisins de compartiment, et puis de mettre un peu
d’ordre dans mes notes. Pas d’internet ferroviaire en revanche : il va
falloir patienter un peu pour les lire, ces fameuses chroniques (ah tiens finalement non, la 4G passe).
Le train
de Hailar est, comme je m’y attendais, du modèle soviétique, taillé pour les
longues distances. Cabines de 4 couchettes, avec une table repliable et une
poubelle, moquette dans le couloir, tapis dans le compartiment, c’est propre et
spartiate. Exactement le modèle soviétique : j’ai passé la moitié de ma
vie dans ces trains, mes mains retrouvent et actionnent automatiquement, sans
effort, tous les équipements, le commutateur central pour le plafonnier et les
liseuses, le filet repliable à gants & chapeaux, les porte-manteaux de part
et d’autre de la porte coulissante, le décapsuleur fixé sous la table, le
marchepied amovible pour grimper à l’étage qui sert aussi de porte-bibine. La
vitesse de croisière est de l’ordre de 60 km/h, et puis il y a de longs arrêts
dans des gares extrêmement secondaires. Chaque wagon comporte des toilettes et
un compartiment évier-miroir-brossage de dents (pas très propres, mais bon),
plus une cahute pour l’accompagnateur/trice chargé de la propreté et de l’ordre
public. Toutes les heures environ, un vendeur de goinfreries passe en hélant
les affamés d’une voix lasse mais sonore : « bière-rafraîchissements-boissons
chaudes-sandwiches-soupes instantanées ».
Il y a un
wagon-restaurant. Un wagon-restaurant à
l’ancienne : vraie cuisine, avec des cuistots que l’on voit
transporter et laver de vrais produits, viande et légumes, et toute une brigade
qui ce matin confectionnait des jiaozi
sur les tables désertées par les clients. Le service est un peu rustaud, on ne
prend pas le temps de vous faire des risettes ni de vous expliquer les recettes
par le menu, on est servi quand c’est prêt, c’est à dire chacun son tour ou
presque. Mais les plats fumants sont bons : ce n’est pas du prémâché
réchauffé au micro-ondes. De la bonne cuisine familiale.
On a
plutôt de la chance avec nos colocataires : une famille chinoise modèle
enfant unique. Lui trapu, plutôt costaud, non-fumeur, à lunettes, représentant
d’une profession intellectuelle (je dirais prof ou avocat), pas bavard mais pas
hostile non plus à échanger quelques mots de présentation mutuelle. Elle,
menue, réservée, limite taciturne (enfin à choisir entre taciturne et
jacasseuse, vu l’espace réduit, je préfère taciturne), queue de cheval. Lui,
occupé à feuilleter des nouvelles sur son smartphone,
elle à lire puis à somnoler sous son magazine modes chinoises & travaux de
coolie. La seule ombre au tableau, c’est le petit empereur : une dizaine
d’années, enveloppé déjà, cheveux ras et regard vif. Pas hyperactif (l’épidémie
reste pour l’instant confinée aux Etats Unis), mais bon : confiné dans un
espace réduit avec des adultes apathiques, il s’ennuie. Il grignote :
saucisse, puis soupe, puis chips, puis bonbon. Il regarde un film sur le
portable, puis sort regarder le paysage, puis revient demander un soda, puis
repart faire un tour. C’est dur pour lui : à cet âge, 30 heures passent
comme 30 jours. Il est comme un cochon en batterie, à se goinfrer pour tromper
l’ennui. Ah tiens, finalement non, voilà son calvaire qui s’achève : ils
descendent ici.
Pour moi
au contraire, un voyage en train, c’est la relaxation absolue : on dort
beaucoup, bercé par les ondulations de la voie, et puis quand on n’en peut plus
de dormir, on lit, on réfléchit, on écrit, on observe un peu le manège des
voisins, on boit un coup. Pas de stress, rien n’est nécessaire, rien n’est
pressé, rien n’est urgent, rien n’est obligatoire. On a son petit territoire de
liberté totale sur 1 m². Ah, faire le tour du monde en train !
Ah ben tiens on est déjà arrivés !
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