jeudi 23 janvier 2014

Les rois du kitsch


Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Dernier jour à Shenzhen (深圳).


Le programme s’emballe, les découvertes se bousculent, les nuits sans sommeil succèdent aux périodes sans internet, le blog challenge s’essouffle et a du mal à suivre. Mais bon tant bien que mal je vous tiens au fait des derniers rebondissements avec de nouveaux thèmes qui surgissent à chaque coin de rue.

Finissons le topo sur Shenzhen avant de revenir à Guangzhou (Canton). Je ne sais plus qui disait récemment « Dans l’euphorie de la croissance économique, il n’y a pas de peurs irrationnelles, pas de tabous qui tiennent, pas de culte excessif du passé » (ha ben c’est moi ! Dans ma note précédente ! Y’en a quand même un qui suit) : en Chine on glorifie le passé, les valeurs ancestrales, la culture millénaire, tout ça. On adore tellement qu’on préfère tout reconstruire à neuf. C’est à Shenzhen que c’est le plus flagrant : les Chinois sont les rois du kitsch.

Entendons-nous sur les définitions : le kitsch, dans son acception habituelle, c’est un adjectif substantif péjoratif. C’est le clinquant, le bling-bling, le strass & les paillettes. C’est le tape-à-l’œil du m’as-tu-vu, la poudre aux yeux du parvenu. Dire « c’est kitsch » c’est se placer dans la catégorie des esthètes et des érudits par opposition aux goûts primitifs du vulgus pecum.

Kitsch : le mot est allemand (enfin semble-t-il), mais la chose est chinoise. Se hausser du col, imiter ce que l’on admire sans entièrement le comprendre, reproduire les signes et se targuer « d’en être ». Imitation et mimétisme. Exagération et caricature. Les tenues de clown « à l’occidentale », les lunettes de plastique monstrueusement colorées sans verres correcteurs, les cérémonies de mariage avec costumes & paillettes dans de fausses églises, Sino-Star’Ac, les faux i-Phones et les fausses Rolex, composent la Chine. La décomposent. La recomposent.

Et c’est en Chine, pays du kitsch, qu’on est bien forcé de voir que ça peut être un art.







Je vous parlais des ruelles anciennes nouvellement construites à Pékin et ailleurs. Je vous parlerai de ces hutongs reconstruits avec des matériaux & des techniques traditionnels. A Shenzhen, ce qu’il faut voir, ce n’est pas la vieille ville (pas encore construite), ce ne sont pas des quartiers d’affaires (qui ressemblent trop à ceux de Hong Kong et de Londres), ni les jardins botaniques (des morceaux de forêt vierge déflorée), ni les musées (malheureusement pas eu le temps d’y jeter un coup d’œil). Ce sont les parcs éducatifs, paradis du kitsch ethnographique. Il y a l’immense parc des ethnies de Chine et celui, plus grand encore, des peuples du monde. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas du carton-pâte, ni un exposé scientifique. C’est vraiment une tentative de transmettre du ressenti. Sélective, bien sûr. Partielle, évidemment. Réductrice, approximative, naïve parfois. Mais quand même : matériaux, échelle, techniques employées, couleurs, matières, c’est vraiment du travail soigné. Le touriste n’est pas forcément ethnologue professionnel, mais on n’est pas forcé de le traiter en bourrin non plus. Je vous parlais tantôt de l’amour du détail, du fignolage typiquement chinois : on les voit ici à l’œuvre. Du bon boulot.

Le parc « Fenêtre sur le monde » (世界之窗) rassemble, sur 600 ha environ, des modèles réduits des grands monuments et des principaux centres d’intérêt du monde. Enfin attention, quand je dis réduits, la tour Eiffel doit bien faire ses 100 m de haut, et les chutes du Niagara sont quasiment à l’échelle originale. On y visite évidemment les monuments européens (Arc de Triomphe, tour de Pise, cathédrale de Cologne), mais l’eurocentrisme y est peu perceptible : l’Inde est bien représentée, ainsi que l’Amérique du Sud. L’Afrique n’est pas complètement ignorée, et – surprise & découverte – des pays comme l’Iran et l’Irak tirent également leur épingle du jeu. Pour l’anecdote, dans le quartier « Allemand » on trouve une petite église qui indique « show religieux à 15h10, 16h20, etc ». Et puis évidemment, location de costumes de mariés européens pour prendre des photos. C’est drôle et instructif en tant qu’Européen de se voir observé par des ethnologues étrangers. A quand missionnaires et colons chinois ?

L’exposition coloniale 2020 à Pékin ? (on l’aurait bien mérité, avouez).

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