Pourquoi parle-on autant de la
pollution atmosphérique à Pékin ? il y a bien pire : la pollution sonore, par exemple.
Pékin est une ville stridente. Pas mélodieuse, pas vibrante, pas
bruyante, pas primesautière : stridente.
Ils ont de ces klaxons, bitonaux, qui mêlent
le grave & l'aigu, prolongés sur un demi-temps, juste celui qui suffit à
vous pétrifier un piéton pour qu'il ne puisse échapper au 38 tonnes qui fonce
droit sur lui. Taxis et automobilistes ne sont pas en reste, leurs déplacement
s'accompagnent en permanence d'un klaxonnage préventif typique. Les bus brament
leur petit couplet «Attention à la sécurité – attention à la sécurité»
lorsqu'ils approchent des arrêts. Partout on entend le bruit vrillant des
bricoleurs de rue qui percent, scient, usinent, travaillent bois et métaux. La
porte des petites échoppes s'encadre de hauts parleurs qui diffusent en boucle
de cacophoniques slogans publicitaires ou une musique entêtante qui se répète
en permanence du matin au soir, du 1er janvier au 31 décembre. Mc Do
diffuse autour de la petite fenêtre des commandes à emporter, une mélodie de
noël si forte et si répétitive que les clients en ont les oreilles qui sifflent
et la tête qui tourne avant même d'avoir pu se détraquer l'estomac. Les
ferrailleurs passent en vélo agitant une ribambelle métallique qui vous casse
les oreilles à bout portant ; les récupérateurs d'autres matériaux se
contentent d'un long hurlement traînant alors qu'ils voguent le long des rues
sur leur triporteur : «yiiiiiiooooôôôôoooyiiiiiiiiieeeeeeeeeee».
Et encore
: dans mon quartier de hutongs autour du Goulot, près de l'hypercentre
historique, on peut dire que je fais figure de privilégié. La zone est
relativement préservée par rapport à WuDaoKou par exemple, où j'habitais avant.
Le quartier de WuDaoKou était l’un
des plus bruyants qu’il me fût donné d’habiter (toutes catégories confondues).
N’ayant jamais habité dans une discothèque, ni sur une piste d’aéroport, ni
dans une usine de concassage de gravier… Même du haut de mon dixième étage,
c’en était comique, la façon dont ce que la ville entière compte d’automobilistes
semblait en permanence se donner rendez-vous sous mes fenêtres pour y jouer du
klaxon. Ajoutez à cela les diverses boutiques du rez-de-chaussée qui croient
attirer le chaland en posant sur le trottoir des enceintes qui braient à la
cantonade les derniers tubes à la mode. Saupoudrez (pendant les infinitésimales
pauses dites soupirs) les ululements des vendeurs de fruits & légumes, le
ronflement du trafic (il y a quand même quatre voies sur la ruelle de Chengfu),
les sporadiques éclats de voix… Et puis les trains ! Le passage à niveau
ne se contentait pas d’abaisser ses barrières pour faire passer l’express
Paris-Pékin de 8h12 : de chaque côté de la voie ce sont des hauts parleurs qui
tonitruent dix minutes à l’avance et pendant toute la durée du phénomène,
consignes de sécurité, mises en gardes et signaux acoustiques. Bref, une
continuelle rave party qui ne se calmait qu’aux petites heures du matin, avant
de reprendre à l’heure du coq.
Les Chinois sont bruyants. Ils aiment le
bruit qu'ils font et ne semblent pas remarquer le bruit des autres. Un repas
s'accompagne toujours de puissantes exclamations et du vacarme des
mastications. La passion toute chinoise du klaxon découle d'une passion plus
ancienne mais non moins frénétique pour la sonnerie de vélo. On se signale
préventivement à l'attention des autres en drelindrelinant en continu. Même les
piétons isolés se signalent en traînant les pieds et en se raclant le fond de
la gorge. L'hygiène oto-rhino-laryngophagique a statut de religion ici : il
faut les entendre, nos amis les Pékins, quand ils se ramonent la trachée,
qu'ils poussent de savants ronflements et raclements qui vont chercher les
glaires jusque dans leurs derniers retranchements, ces puissantes vibrations
propres à déloger de son antre le mucus le plus visqueux, exposant sans
vergogne à la cantonade, par échographie,
les profondeurs et le degré d'encombrement de leurs bronches. On est presque
soulagé d'entendre le crachat mettre un point final à cette peu ragoûtante
gymnastique pratiquée dès l'enfance.
Mais les pires sont ceux qui aiment chanter,
ces Castafiore d'opérette qui sévissent un peu partout. Ces pervers dont le
sadisme musical est d'autant plus révoltant que leur public n'est pas
consentant. A l'instar du public olfactif, et contrairement au lectorat, le
public acoustique n'a pas le choix. Il ne peut pas écouter ailleurs. Il ne peut
pas ne pas entendre, à moins d'être sourd. D'où l'expression, un peu exagérée :
Mieux vaut être sourd que d'entendre ça.
La passion de la chansonnette est la maladie
de l'Asie. Non seulement tout le monde ADORE chanter, mais de préférence avec
micro et ampli, et faux. Les Asiatiques chantent faux, disons à l'effarante
proportion de 90%. Un mystère qui me rendait perplexe depuis longtemps. Allez y
comprendre quelque chose, alors que justement ils ont tous de ces mélodieuses
langues tonales où il est crucialement important de ne pas s'emmêler les tons?
Où une syllabe change radicalement de sens selon qu'elle est prononcée sur une
note ou sur une autre?
Je ne tiens le fin mot de l'histoire que
depuis quelques jours et cette conversation à bâtons rompus avec
une amie chanteuse franco-indienne : d'après cette spécialiste, les Asiatiques
chantent AU DESSUS, c'est à dire que leur oreille n'est pas formée à la
précision de la musique dodecaphonique occidentale qui saucissonne l'octave en
12 intervalles identiques (les demi-tons). Les mélodies chinoises sont
foisonnantes et non régulières, elles modulent au lieu de s'inscrire dans une
arithmétique précise. Tout s'explique!
Les Chinois adorent chanter, moins pour la
voie express vers la célébrité mondiale que promettent ces lamentables
performances (ils ont leur StarAc ici aussi) que pour la jouissance de la
domination sonore. D'où l'invention et la généralisation, au Japon, en Corée,
en Chine, de l'abominable karaoké (ça s'appelle KTV ici). Evidemment, si
on ne vous dit jamais que vous chantez FAUX et que donc vous vous RIDICULISEZ
irrémédiablement avec chaque note poussée, et que par conséquent vous devez
d'urgence vous TAIRE, chanter devient merveilleux moyen d'exprimer le lyrisme
et le romantisme qui bout dans vos artères… D'où le succès colossal des
karaokés asiatiques, temples de la débauche gazouillante d'où toute autocensure,
toute limitation décibélogrammatique et tout jugement de valeur sont bannis.
Aujourd’hui mon vacarme ambiant est percé de part en part
par les glapissements (amplifiés par une enceinte estampilée 6000 W) d’un
chanteur pop probablement refusé par StarAc’ et blacklisté dans tous les
bars karaOK de la ville.
Qui n'a pas les moyens d'aller karaoker dans
un bar (ils sont tous hors de prix car surbookés) karaoke tout bonnement dans
la rue. C'est facile : il amène son haut-parleur de 8000W, s'assied sur un
tabouret, se racle la gorge, et c'est parti pour des heures de massacre
musical. Les badauds s'attroupent parfois, lancent la piécette (rarement).
La population pékinoise, bon enfant, vaque à
ses occupations sans sembler remarquer le terrible niveau de pollution sonore.
Employés de bar, vendeurs de supermarché, receveurs de bus, subissent
placidement le monotone matraquage acoustique : la tolérance auditive des
Pékinois semble sans limites. Pire : les buzz et les parasites, qui polluent et
submergent parfois en stridence le bruit déjà insupportable, ne semblent pas
déranger l'ordre des choses ni la calme concentration des travailleurs.
Nos frères du bout du monde nous démontrent
par l'absurde ce qui nous attend. Ils illustrent à leur corps défendant ce qui
se passe lorsque la liberté acoustique est totale, lorsqu'aucune limite n'est
posée à l'exubérance commerciale, lorsque la censure qui surveille la teneur du
message ignore royalement son intensité.
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