dimanche 2 février 2014

La Sibérie chinoise



Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. 24h à Hailaer (海拉尔), la "perle des pâturages" !


Ça peut paraître surprenant a priori, mais c’est comme ça : cette région hostile et glaciale, couverte de neige, privée de ressources exploitables, battue à l’occasion de vents meurtriers qui vous congèlent un canasson comme une lasagne Findus, a été disputée âprement au cours de l’histoire.

A l’origine, c’est un territoire mongol (il porte d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui l’appellation d’origine contrôlée ‘Mongolie’). N’oublions pas que les Mongols, à l’époque autour de l’an 1000, c’était l’un des empires les plus puissants du monde, avec une économie et des technologies avancées, et une armée redoutable de petits cavaliers sur de petits chevaux qui a semé la terreur de Pékin à Paris. Genghis Khan (1162-1227), puis Amir Timur (1336-1405) ont régné sur l’Eurasie. Vestige de cette période : une langue turco-mongole qui se parle (avec des variations nationales) d’Istanbul à Hailaer, en passant par des pays & territoires comme le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Bouriatie (Russie), l’Altaï (Russie), le Turkestan chinois, la Mongolie, évidemment. Des signes mongols doublent les signes en chinois et en anglais dans l’aéroport, la gare et bien sûr la signalisation routière.

Ces régions ont été colonisées dans le
s années 1800 par l’Empire russe qui poussait vers l’Est et le Sud. L’Ouzbékistan, la Sibérie, l’Extrême-Orient, qui n’ont jamais passionné les élites de Saint-Pétersbourg (plus occupées par les derniers potins en provenance de Paris), ont pourtant été vassalisées en un siècle, par des explorateurs et des missionnaires d’abord, des guerres et des voies de chemin de fer ensuite. Ça n’a l’air de rien aujourd’hui, mais il en fallait du temps et du monde pour édifier les ponts par-dessus les immenses fleuves sibériens. Ingénieurs, ouvriers, pontonniers, marchands, artisans, plus leurs familles : ça créait spontanément une ville. Vestige de cette époque, quelques belles églises russes mais surtout ces villes-étapes du réseau ferré transsibérien. Hailar, et puis Harbin.
Hailaer est une petite bourgade de 250 000 habitants seulement ; mais avec ses avenues larges, ses beaux immeubles du siècle dernier, ses magasins et ses restaurants, son aéroport et sa gare, ses ponts sur la rivière Hailar, on croirait une vraie ville.

 
Russes, Mongols, Chinois se sont longtemps disputé ces étendues glaciales, et c’est finalement les Chinois qui l’ont emporté. Ou plutôt, comme souvent dans l’histoire « on était vaincu par sa conquête » : les Mandchous, dont l’influence politique et culturelle grandissait dans la Chine du XVIIème siècle, ont fini par envahir Pékin en 1644 pour y établir la dynastie Qing (1644-1912) qui a reconstruit la Cité Interdite, profondément influencé la langue chinoise et a apporté un vernis nordique dans la culture millénaire de l’Empire.

Pas de ressources dans ces terres glacées et désolées ? En cherchant bien, les Japonais en ont trouvé tout de même deux. Deux qui leur faisaient cruellement défaut à l’époque de leur expansionnisme militaire : la viande et le charbon. Hé oui, dans un climat aussi rude, pas question de se livrer à la culture de la vigne et de l’olivier. En revanche pas de problème pour l’élevage : les pâturages à perte de vue en été fournissent du foin pour l’hiver, et les chevaux, moutons et vaches qui batifolent joyeusement en été dans l’herbe haute supportent stoïquement le blizzard l’hiver. La nature est bien faite, finalement : par ces climats inhospitaliers, on trouve plus de mangeurs de bidoche que d’inconditionnels du brocoli, même bio. Et le sous-sol regorge de charbon, qui fournit jusqu’à aujourd’hui le combustible principal pour le chauffage. Vous me direz qu’avec toutes ces merveilles ils l’ont bien cherché, l’invasion japonaise qui finit par se produire en 1931. L’idée des Nippons était de détacher de la Chine cette zone d’approvisionnement stratégique pour eux et d’en faire un dominion, un royaume sous tutelle : le Mandchouko, créé en 1932.
 
D’où échauffourées assez violentes pendant la seconde guerre mondiale. Ce territoire revendiqué par la Chine a été reconquis par l’armée soviétique en quelques semaines en août 1945 (un des épisodes les plus brillants de l’histoire militaire très contrastée de la Russie) faisant prisonniers un demi-million de Japonais et ouvrant la voie de la Mandchourie aux communistes chinois (la conquête de la Mandchourie est le tournant de la Grande Marche de Mao qui s’installe à Harbin en 1948 et prend définitivement l’avantage sur les nationalistes de Tchang Kai-Tchek). 

Dirigeants et dynasties passent, les empires se font et se défont. Reste la gastronomie…

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