Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. 24h à Hailaer (海拉尔), la "perle des pâturages" !
Ça peut paraître surprenant a priori, mais
c’est comme ça : cette région hostile et glaciale, couverte de neige,
privée de ressources exploitables, battue à l’occasion de vents meurtriers qui
vous congèlent un canasson comme une lasagne Findus, a été disputée âprement au
cours de l’histoire.
A l’origine, c’est un territoire mongol (il
porte d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui l’appellation d’origine contrôlée
‘Mongolie’). N’oublions pas que les Mongols, à l’époque autour de l’an 1000,
c’était l’un des empires les plus puissants du monde, avec une économie et des
technologies avancées, et une armée redoutable de petits cavaliers sur de
petits chevaux qui a semé la terreur de Pékin à Paris. Genghis Khan
(1162-1227), puis Amir Timur (1336-1405) ont régné sur l’Eurasie. Vestige de
cette période : une langue turco-mongole qui se parle (avec des variations
nationales) d’Istanbul à Hailaer, en passant par des pays & territoires comme
le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Bouriatie (Russie), l’Altaï
(Russie), le Turkestan chinois, la Mongolie, évidemment. Des signes mongols
doublent les signes en chinois et en anglais dans l’aéroport, la gare et bien sûr la signalisation routière.
Ces régions ont été colonisées dans le
s
années 1800 par l’Empire russe qui poussait vers l’Est et le Sud.
L’Ouzbékistan, la Sibérie, l’Extrême-Orient, qui n’ont jamais passionné les
élites de Saint-Pétersbourg (plus occupées par les derniers potins en
provenance de Paris), ont pourtant été vassalisées en un siècle, par des
explorateurs et des missionnaires d’abord, des guerres et des voies de chemin
de fer ensuite. Ça n’a l’air de rien aujourd’hui, mais il en fallait du temps
et du monde pour édifier les ponts par-dessus les immenses fleuves sibériens.
Ingénieurs, ouvriers, pontonniers, marchands, artisans, plus leurs
familles : ça créait spontanément une ville. Vestige de cette époque,
quelques belles églises russes mais surtout ces villes-étapes du réseau ferré
transsibérien. Hailar, et puis Harbin.
Hailaer est une petite bourgade de 250 000 habitants
seulement ; mais avec ses avenues larges, ses beaux immeubles du siècle
dernier, ses magasins et ses restaurants, son aéroport et sa gare, ses ponts
sur la rivière Hailar, on croirait une vraie ville.
Russes, Mongols, Chinois se sont longtemps
disputé ces étendues glaciales, et c’est finalement les Chinois qui l’ont
emporté. Ou plutôt, comme souvent dans l’histoire « on était vaincu par sa
conquête » : les Mandchous, dont l’influence politique et culturelle
grandissait dans la Chine du XVIIème siècle, ont fini par envahir Pékin en 1644
pour y établir la dynastie Qing (1644-1912) qui a reconstruit la Cité
Interdite, profondément influencé la langue chinoise et a apporté un vernis nordique
dans la culture millénaire de l’Empire.
Pas de ressources dans ces terres
glacées et désolées ? En cherchant bien, les Japonais en ont trouvé tout
de même deux. Deux qui leur faisaient cruellement défaut à l’époque de
leur expansionnisme militaire : la viande et le charbon. Hé oui, dans un climat
aussi rude, pas question de se livrer à la culture de la vigne et de l’olivier.
En revanche pas de problème pour l’élevage : les pâturages à perte de vue
en été fournissent du foin pour l’hiver, et les chevaux, moutons et vaches qui
batifolent joyeusement en été dans l’herbe haute supportent stoïquement le
blizzard l’hiver. La nature est bien faite, finalement : par ces climats
inhospitaliers, on trouve plus de mangeurs de bidoche que d’inconditionnels du brocoli,
même bio. Et le sous-sol regorge de charbon, qui fournit jusqu’à aujourd’hui le
combustible principal pour le chauffage. Vous me direz qu’avec toutes ces
merveilles ils l’ont bien cherché, l’invasion japonaise qui finit par se
produire en 1931. L’idée des Nippons était de détacher de la Chine cette zone
d’approvisionnement stratégique pour eux et d’en faire un dominion, un royaume
sous tutelle : le Mandchouko, créé en 1932.
D’où échauffourées assez violentes pendant la
seconde guerre mondiale. Ce territoire revendiqué par la Chine a été reconquis
par l’armée soviétique en quelques semaines en août 1945 (un des épisodes les
plus brillants de l’histoire militaire très contrastée de la Russie) faisant
prisonniers un demi-million de Japonais et ouvrant la voie de la Mandchourie
aux communistes chinois (la conquête de la Mandchourie est le tournant de la
Grande Marche de Mao qui s’installe à Harbin en 1948 et prend définitivement
l’avantage sur les nationalistes de Tchang Kai-Tchek).
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