vendredi 31 octobre 2014

Le cri du panda




Ça y est, c’est officiel. Enfin chut ! C’est secret. Enfin disons que ce secret officiel n’est pas chanté sur les toits, il n’y a que sur ce blog qu’on en entend parler. Le FMI l’a à peine chuchoté et s’est empressé de changer de sujet…

L’économie de la Chine, avec un PIB de 17,632 milliards de dollars, vient de dépasser en volume celle des USA (17,416 milliards). Un écart qui va évidemment continuer de s’accroître en raison du différentiel de croissance entre les deux pays.

Cette nouvelle n’est pas en soi étonnante, depuis le temps qu’on voyait les courbes se rapprocher et les projections se croiser. L’étonnant, ce sont les réactions des parties en présence ! Jugez-en par vous-mêmes :

D’abord le FMI, puisque c’est lui qui (par la voix de sa présidente Mme Lagarde) vient d’annoncer la nouvelle. Le FMI a procédé au calcul, annoncé les résultats… et immédiatement enrobés ceux-ci des habituelles précautions oratoires : l’économie chinoise serait menacée de surchauffe (ça fait vingt ans qu’on l’entend, celle-là), sa croissance prévue à 7,4% pour cette année est une quasi-catastrophe (c’est la plus faible depuis 2009 ! vous vous rendez compte ?), et puis bon, les chiffres, même du FMI, vous savez… ils ne sont pas fiables !

En prévision de cet événement, les USA ont adopté depuis quelques années une stratégie de réforme du mode de calcul. Alors que jusqu’à récemment on privilégiait le calcul PPP, c’est-à-dire à parité de pouvoir d’achat (qui corrige l’effet de distorsion des taux de change entre monnaies, par exemple avec le yuan que les Etats-Unis considèrent comme artificiellement sous-évalué), on préfère désormais le calcul en dollars bruts (normal : en PPP ils sont n°2 tandis qu’en nominal ils restent n°1 de très loin). L’année dernière, pour retarder un peu l’inéluctable, Washington avait déjà changé officiellement de mode de calcul du PIB pour gagner 3% sans lever le petit doigt.
En termes de créativité comptable, l’UE n’est pas en reste : dans un effort de tiersmondisation assez inquiétant, Bruxelles veut désormais intégrer au calcul du PIB l’économie au noir, la prostitution et le trafic de drogue : on est décidément prêt à tout pour faire gonfler l’indice ! Malheureusement, l’effet sur l’économie légale est peu sensible…

Mais le vrai scoop, c’est la réaction chinoise ! Ces braves Célestes, que l’on accuse sans cesse de nationalisme exacerbé, font inexplicablement profil bas en réfutant quasiment l’information du FMI ! Au lieu de pousser l’équivalent panda du cocorico, ces modestes Asiatiques font semblant d’ignorer cette nouvelle réalité.

Le Nouvel Economiste l’explique ainsi « Premièrement, les Chinois considèrent que le critère de comparaison retenu par la Banque mondiale – la parité de pouvoir d’achat – n’est pas fiable. Ils font observer que, déjà en 2005, le coût de la vie en Chine avait été surestimé de 20%. Par conséquent, on ne saurait s’appuyer solidement sur le calcul PPP pour comparer les économies des différents pays.
Deuxièmement, quelle que soit la façon dont on calcule le montant du PIB d’un pays, cet indicateur ne donne pas une image fidèle de l’économie. Quand on connaît le PIB d’un pays, on ne connaît pas la structure de son industrie, ses capacités d’innovation technologiques, le niveau de ses services dans l’éducation ou la santé, la culture ou la protection de l’environnement. » La Chine continue de se considérer comme un pays en voie de développement, faisant fi des critiques ou des dithyrambes des pays développés. Le PIB par tête de pipe chinois reste quatre fois inférieur à celui des USA.
« Troisièmement, le PIB n’est pas un bon indice de la richesse réelle d’un pays. Il est le résultat d’un flux de valeur ajoutée dans le cours d’une année ; alors que la richesse résulte de l’accumulation de cette valeur ajoutée au cours de plusieurs siècles ou décennies. Et les investissements venant de l’étranger ne comptent pour rien dans la richesse du pays d’accueil ; ils sont mis au compte du pays d’origine. Or pour les investissements à l’étranger, la Chine n’est qu’un débutant. »

Assez d’accord avec ce troisième point : que ce soit à parité du pouvoir d’achat ou en valeur nominale, le calcul du PIB obéit à des règles comptables assez éloignées de la vraie vie. Comme on le voit aux Etats-Unis, la somme des flux de biens et de services s’accroît exponentiellement avec la financiarisation de l’économie, sans que celle-ci se traduise par une quelconque amélioration du niveau de vie, de richesse ou de satisfaction des citoyens… voire même au contraire ! Et leur nouveau mode de calcul consiste simplement à augmenter le chiffre utilisé pour évaluer la propriété intellectuelle existante : ça ne correspond à rien de réel, juste un jeu d’écritures.

Comme le panda qui n’a pas de cri bien à lui (pourtant, grognement, couinement, cornement, bêlement, jappement, aboiement, rugissement, il n’est pas à proprement parler silencieux !), la Chine ne célèbre pas sa première place par des barrissements qui seraient de mauvais goût. Fidèle à l’adage de Deng Xiaoping, elle poursuit sa politique de « profil bas et dissimulation des capacités ».

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